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Quand l’envie devient un indicateur d’accompagnement

Innovation

Dans mon rôle de coach, j’aime multiplier les angles de lecture. Pas pour me rassurer — pour mieux voir. Chaque équipe a son histoire, son énergie, ses besoins… et ses envies. 
 
Ces derniers mois, j’accompagnais plusieurs équipes de l’infrastructure informatique. J’avais commencé par observer, écouter, discuter. Les pistes d’accompagnement émergeaient naturellement. Et pourtant, une intuition revenait : l’utilité d’une action n’est pas toujours ce qui crée la dynamique la plus porteuse. 
 
J’ai voulu aller un cran plus loin. Non pour remplacer ma pratique mais pour la compléter — en y ajoutant une dimension parfois négligée : le désir, l’énergie, l’envie. 

Quand la valeur ne dit pas tout

Ce questionnement s’est cristallisé avec un accompagnement d’équipes responsables de la stabilité et de la fiabilité des services informatiques. Leur travail, c’est le silence du bon fonctionnement… et la foudre quand quelque chose cloche. Difficile de parler de « valeur » comme pour un produit : quand tout va bien, c’est normal ; quand ça ne va pas, c’est critique. En observant cela, j’ai repensé au modèle de Kano. Il décrit ce que je voyais sur le terrain : des besoins asymétriques où satisfaction et frustration ne se répondent pas en miroir. 

Redécouvrir Kano autrement 

Le modèle de Noriaki Kano montre que tous les besoins ne se valent pas. Certains créent de la satisfaction quand ils sont présents ; d’autres produisent surtout du mécontentement quand ils manquent. 
 
Trois familles suffisent ici pour comprendre l’intention : 
• « Must have » : fondamentaux. Leur absence est insupportable ; leur présence est simplement normale. 
• « Performance » : plus c’est présent/maîtrisé, plus la satisfaction augmente, et inversement. 
• « Excitants » : inattendus, ils déclenchent un vrai effet « waouh » s’ils sont là. 
 
Kano ne mesure pas une satisfaction absolue ; il éclaire une dynamique émotionnelle entre présence et absence. 

Les questionnaires qui en résultent sont parfois déroutant, il est nécessaire de bien leur expliquer l’intention, et la raison de questions sous un forme positive et négative. 
Je conseille ici de réunir les répondants et de leurs expliquer (avec une illustration). 

 

Présentation d'une démarche Kano

Adapter le modèle à l’accompagnement humain

J’ai choisi d’adapter cette logique au cœur de mon métier : l’accompagnement humain. Au lieu de « fonctionnalités », j’ai travaillé sur des thématiques d’accompagnement d’équipe (communication, dynamique d’équipe, priorisation, formations, rôles …).  
Mon besoin : une formalisation lisible pour des équipes et des managers — explicite sans tomber dans le simplisme. 

La démarche s’est faite en trois temps : 
1) Répartir les perceptions par axe d’accompagnement (proportions « must have », « performance », « excitants »). 
2) Transformer ces répartitions en courbes de satisfaction décrivant l’évolution perçue selon la profondeur du travail engagé. 
3) Extraire cinq niveaux d’approfondissement (de l’absence à l’intervention en profondeur) pour construire un tableau lisible. Ce tableau révèle les zones de déception, les points de bascule et les thèmes qui nécessiteraient du temps pour amener de la satisfaction. 

 

Tableau d'accompagnement d'une équipe

Du modèle à la réalité : choisir, renoncer, ajuster 

Une fois cette lecture posée, il a fallu agir. À l’aide des tableaux, avec les équipes et le management, nous avons décidé de concentrer nos efforts sur une première équipe : celle où de petites actions bien ciblées pouvaient rapidement éviter la déception et/ou relancer la satisfaction. 
 
Deux axes d’accompagnement ont été priorisés (pour éviter les déceptions à ne pas faire et rapidement apporter de la satisfaction) : 

  1. Mieux animer les temps Scrum. 
  2. Adopter une démarche centrée utilisateur (travailler le rapport aux utilisateurs). 

D’autres pistes séduisantes ont été écartées. Par exemple, un chantier sur le flux de production : pertinent sur le papier, mais sans appétence de l’équipe. Même verdict pour les Ateliers découvertes : pas d’envie de l’équipe, j’ai rangé ma mallette de « serious game ».  

À l’inverse, j’ai choisi d’investir malgré tout sur la dynamique d’équipe (3), bien que l’envie ne soit pas apparue dans la lecture Kano. Mon expérience et mes convictions me disaient que c’était un levier clé, les rétrospectives et les daily étaient mes premiers lieux de travail. Les premiers pas ont confirmé la présence de résistances ; j’y suis allé avec conviction et finesse. 
 
Concrètement, autour de ces 3 axes, cela s’est décliné opérationnellement en : 

  • un travail de fond sur les Revues : public, intention, valeur (1)(2) 
  • une amélioration des Daily Meetings, (1)(3) 
  • une refonte du Sprint Planning, (1) 
  • une animation soutenue des Rétrospectives. (1)(3) 
  • des temps individuels et des échanges sur le fonctionnement collectif (3) 

Les résultats semblent avoir validé l’intuition du modèle : les revues et daily ont progressé vite et fort ; les sujets plus profonds ont demandé du temps et de la persévérance. 

Avec plus de temps et de compréhension, il était au final sage de ne pas travailler sur le flux, l’équipe avait subi trop de changements d’approches et était las de ce type de changement. 

Ce que cette expérience m’a appris

En adaptant Kano à l’accompagnement, je n’ai pas ajouté une méthode à ma boîte à outils ; j’ai trouvé une façon plus fine d’écouter. L’envie, la satisfaction et la déception suivent des trajectoires différentes selon la profondeur où l’on agit. Cette lecture m’a permis de parler autrement avec les équipes et les décideurs : non plus seulement de valeur ou d’efficacité, mais de résonance, d’énergie et de sens partagé. 

Au fond, l’accompagnement n’est pas un plan d’action ; c’est une relation mouvante entre efforts, émotions et alignement collectif. 
 
S’il ne devait rester qu’une idée : ce n’est pas la profondeur du travail qui crée la satisfaction, c’est le moment où cette profondeur devient juste pour ceux qui la vivent. 
 
Merci encore à cette équipe et aux autres de cette mission, pour m’avoir tant permis d’apprendre et de réapprendre des choses essentielles de mon métier. 

 

Pour aller plus loin 

La page Wikipédia (Modèle de Kano): https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_de_Kano  
 
Un article très clair et inspirant : 
https://blog.hello-bokeh.fr/2018/11/21/la-methode-kano/ 

Un document plus en profondeur (et en anglais) : 
https://foldingburritos.com/blog/kano-model/ 

Une vidéo en français bien illustrée : 
https://www.youtube.com/watch?v=oGKIfcwgJVQ  ([C032] le Diagramme de Kano)

Article rédigé par

Matthieu Pierres

Co-pilote du changement